“Bleus sur Noire” - Atsoupé

Atsoupé

« Bleus sur Noire »

Du 4 Février au 26 mars 2022

Vernissage le vendredi 4 Février 2022 de 18h à 21h


La Galerie Anne de Villepoix est heureuse de vous présenter la première exposition personnelle de peintures de l’artiste d’origine togolaise : Atsoupé
C’est une multitude de visages, la plupart féminins, qui nous fixent de leurs regards insistants et perdus. Même lorsque Atsoupé délaisse la peinture pour d’étranges sculptures en formes de poupées dépourvues de leurs têtes, la puissance du visage transparaît du sceau de son absence. La jeune artiste d’origine Togolaise en affrontant cette thématique inscrit, ainsi, son art dans une longue tradition des maîtres du passé, qui, de Giotto à Bacon, de Goya à Louise Bourgeois, ou des frères Le Nain à Picasso ont questionné l’énigme du visage.

Pourtant, les têtes fréquemment suturées, et rehaussées d’un ensemble de lainages ou de passementeries en guise d’ornements n’ont rien de cette peinture de genre qu’on appelle le portrait. Ici, nul souci de ressemblance ! La peintre n’a pas à s’inquiéter des affaires d’exactitude et de beauté qui firent dire à Matisse « qu’un portrait est une brouille… » Son propos est ailleurs. On ne sait rien, du reste, de tous ces visages qui semblent autant de figures anonymes, flottant sans corps, à l’instar d’ectoplasmes errant dans l’entre-deux de la vie et la mort. Sont-ils des réminiscences hantant la mémoire de l’artiste, à la manière de fantômes inquiétants surgis de ses premières années vécues dans des pays d’Afrique ravagés par la guerre ?5 Burundi,Guinée,RDC, Kinshasa .

Si la peinture d’Atsoupé porte en elle irrémédiablement l’épreuve du deuil et des traumatismes, elle est également imprégnée de l’enchantement d’une enfance vécue au contact des paysages de son Afrique natale. D’où, sans doute, ce mélange de candeur et de sourde violence qui traverse le travail de l’artiste, et confère à la surface de la toile, au subjectile, le caractère d’un épiderme portant les traces de son passé.

De fait, si de nombreuses têtes sont sauvagement criblés de trous (29 points) ou portent la marque de déchirures comme autant de cicatrices évoquant, parfois, la rage destructrice des dessins d’Artaud, la peintre témoigne, aussi, d’un art de la résilience, en réparant ses anciennes œuvres qu’elle recoud patiemment, improvisant ainsi une forme de Kintsugi à l’échelle de ses propres peintures.

Cette manière de se réapproprier ses blessures, par un véritable travail de transmutation esthétique est au cœur de la démarche artistique d’Atsoupé.
La grâce des lavis semblable à une danse apaisante ne vient-elle pas pondérer une écriture graphique, souvent, dominée par sa ponctuation agressive de points et de croix (17 points, 2 ronds )? Le contour des visages témoigne d’une fluidité sans pareil du trait, et d’une légèreté de la touche qui tranche avec la présence inquiétante de couteaux ou de sang (Et alors..? Et maintenant ?) (le rêveur).

La peintre magnifie, enfin, ses portraits par un traitement des couleurs, emportant les figures dans des dégradés subtils, mêlant des bleus de Prusse, des rouges carmin ou des verts de jade. (Peine)

Si l’épiphanie du visage est au cœur de l’œuvre d’Atsoupé, sa peinture manifeste également un souci insolite pour tout ce que Derrida a désigné par le terme de parergon; à savoir ce qui vient compléter l’œuvre sur le mode de l’ornementation, voire du superflu.
La surprenante variété des formats proposés par l’artiste ne témoigne-elle pas de sa difficulté à contenir son geste pictural dans le seul cadre du tableau ? L’élan de sa peinture ne déborde-t-il pas les limites de sa toile ? À l’instar du sublime, dont les romantiques disaient que le sentiment infini qui le porte, outrepasse nécessairement toute limite, il y a dans l’art d’Atsoupé une forme de transe qui l’emporte par-delà toute œuvre finie. Sans doute a-t-elle été le témoin de « quelque chose d’énorme, de sauvage, de barbare » qui la submerge encore - trop grand pour être dit, trop fort pour être peint - et dont Diderot faisait le seul terreau de la poésie.

L’importance de l’ornementation, l’instabilité du cadre, et l’abondance des facéties plastiques participent, sûrement, d’une variation baroque permettant à l’artiste de s’écarter de ce fond inquiétant et tragique.
En malmenant les codes traditionnels de la peinture, Atsoupé est proche de nombreux auteurs d’Art brut, qui s’accommodent difficilement des conventions en matière de représentation. Car, ce n’est pas seulement, le cadre en bois, le « frame » anglais qui entoure la composition que perverti l’artiste, mais aussi son support en l’agrémentant de nombreux éléments de récupération.

Ses tableaux ne sont-ils surchargés d’accessoires apparemment incongrus, à l’instar d’ornements qui viennent de surcroît disperser l’attention du spectateur ? Le regard n’est-il pas fréquemment attiré par ces ajouts de quadrillages qui recouvrent étrangement le visage ? Que dire de ces morceaux de cartons, des napperons, des flèches (la fille du serpent), des couteaux, des médailles ou de ces pièces d’étoffes et de lainage qui viennent s’intégrer, avec humour souvent, au vocabulaire plastique de l’artiste ?

En usant de ces matériaux pauvres qu’elle trouve dans son environnement quotidien, la démarche d’Astoupé s’inscrit tout autant dans une parenté manifeste avec les outsiders, qu’en noble héritière des surréalistes qui firent des brocantes et des passages le labyrinthe de leurs flâneries. Mais, elle témoigne aussi du besoin d’accumuler aux travers de ces rebuts, d’un désir plus ancien de recoller des morceaux de passé, à l’image de ses toiles décousues qu’elle reprise inlassablement comme autant de plis d’une étoffe déchirée, en écho à sa propre enfance dispersée.

C’est d’ailleurs dans ses poupées, souvent dépourvues de tête, que l’artiste assemble tous ces matériaux en donnant libre cours à son imagination la plus débridée. Il n’y plus que des fripes dérisoires en forme de fétiche. Le visage a parfois entièrement disparu - mais il reste pourtant là, terriblement absent, comme tapi dans les marges de cette peinture insolite et profonde.

Philippe Godin



____________________________________________________



Galerie Anne de Villepoix is delighted to present the first personal exhibition of paintings by the Togolese artist Atsoupé. A myriad of faces, most of them female, fix us with their lost, insistent gaze. Even when Atsoupé abandons painting for strange, headless sculptures shaped like dolls, the power of the face is reflected in its marked absence. Addressing the subject in this way means the work of this young Togolese artist has joined a long tradition of past masters who—from Giotto to Bacon, Goya to Louise Bourgeois and the Le Nain brothers to Picasso—have all questioned the enigma of the face.

However, with heads frequently sutured and decorated with ornamental wool or braids, these

paintings bear no resemblance to what we would call the portrait genre. There is no interest in a likeness here! The painter does not have to worry about being accurate in reflecting beauty—

the reason Matisse said that “a portrait is a quarrel.” Her purpose is elsewhere. Moreover,

nothing is known of these faces that resemble anonymous figures floating bodiless like

ectoplasms suspended between life and death.

Are they memories that haunt the artist like disturbing ghosts from her early years spent in

African countries ravaged by war?

While Atsoupé’s painting inevitably bears the hallmark of grief and trauma, it is also imbued

with the magic of a childhood spent in contact with the landscapes of her native Africa. This has no doubt led to the mix of candour and muted violence that runs through the artist’s work and gives the surface of the canvas—the substrate—the character of skin bearing traces of its past.

While many of the heads are brutally riddled with holes (29 points) or bear laceration marks like

scars, occasionally evoking the destructive rage of Artaud’s drawings, the artist also demonstrates the art of resilience, repairing her old paintings by patiently stitching them back

up—a type of improvised kintsugi performed on her own paintings.

This way of reappropriating her wounds through aesthetic transmutation is at the heart of

Atsoupé’s artistic approach.

Does the graceful wash resembling a soothing dance not balance the graphic style, often

dominated by aggressively punctuated dots and crosses (17 points, 2 ronds)? The facial contours display an unparalleled fluidity of line and a lightness of touch that contrasts sharply with the disturbing presence of knives or blood (Et alors..? Et maintenant ? Le rêveur).

Furthermore, the painter enhances her portraits through her use of colour, bringing subtle

graduation to her figures by mixing Prussian blues, crimson reds or jade greens (Peine).

While the epiphany of the face is at the heart of Atsoupé’s work, her painting also demonstrates

an unusual concern for what Derrida referred to as parergon; in other words, how the work is

completed in terms of decoration or even superfluous elements.

Does the surprising variety of formats offered by the artist not demonstrate her difficulty in

containing her painting to within the picture frame? Does the spirit of her painting not

transcend the limitations of her canvas? Like the sublime, which romantics said is carried by an

infinite feeling that knows no limits, the trance-like quality of Atsoupé’s art takes it beyond any

finished work. There is no doubt she witnessed “something enormous, savage and barbaric“

that still overwhelms her—too big to be spoken of and too strong to be painted—which Diderot

also made fertile ground for his poetry.

The importance of the decoration, the instability of the frame and the abundance of visual jokes

are surely a baroque twist that helps the artist distance herself from her troubling and tragic

background.

By subverting the traditional codes of painting, Atsoupé is like many Art Brut creators who find

it difficult to follow conventions in their work. Because it is not just the wooden frame

surrounding the painting that the artist has subverted but also its medium, embellishing it with

numerous recovered items. Are her paintings not overloaded with seemingly incongruous accessories like ornaments that serve to further disperse the viewer’s gaze?


Is the eye not frequently attracted by the addition of a grid that strangely covers the face? What

about the pieces of cardboard, doilies, arrows (La fille du serpent), knives, medals and pieces of fabric and wool that are included, often with humour, in the artist’s visual vocabulary?

By using these humble materials found in her everyday environment, Atsoupé’s approach shows a clear kinship with outsiders; a noble successor to the surrealists who wound their way

leisurely through flea markets and back streets. But it also demonstrates her need to use these

scraps to fulfil a more primaeval desire—to glue together pieces of the past like the disjointed

paintings she tirelessly repairs as if they were the pleats of a torn fabric, echoing her own

fragmented childhood.

And it is in her dolls, often devoid of heads, that the artist brings together all these materials,

giving free rein to her unbridled imagination. Mere rags in the form of a talisman. Sometimes

the face has disappeared entirely, yet it is still there—agonisingly absent—as if lurking in the

margins of this deep and unusual painting.


Philippe Godin

Using Format