ATSOUPÉ « Bruits depluie »
Vernissage le mercredi 27 septembre 2023 de 18h à 21h
Exposition du 28 septembre au 4 novembre 2023
« En puisant ses portraits dans son univers le plusfamilier, parmi ses proches et ses amis, la peinture d’Atsoupé témoigne d’un ancrage essentiellementdomestique, qui n’estpas sans évoquer le dépouillement de certaines créations d’art brut, ignorant touteforme d’empruntà un corpus d’imageset d’influencesextraites d’unbagage culturel aussi sophistiqué qu’étendu.On ne trouvera pas chez l’artiste d’origine togolaise, de références explicites à la BD ou à la SF, à l’histoire de la peinture ouà celle du cinéma, à la photographie ou mêmeà l’iconographie descultures africaines ; encore moins d’allusions à une quelconque actualité politique ousociale. Rarement une peinture n’a peut-être eu l’audace d’affirmer sa présence souveraine à partir des seulespuissances de son art ! Alors que la plupart des artistes contemporainsdeviennent des véritables communicants accompagnant leurs expositions d’un abondant ensemble deparatextes, comme autant de motifs, d’alibis et de justifications à leurs créations, Atsoupé,non sans malice, revendique un sens de l’épure qui confèreà son œuvre la solennité du recueillement silencieux. Ces portraits semblent s’affranchir d’un pathos inutile, pourmieux affirmer la présence du seul fait pictural.
Ne peut-on pas direà propos de cette nouvelle série de portraits, ce que Bataille retenait, déjà,des peintures de Manet, à savoir qu’elles ne tiennent « plus leur majesté d'une significationpolitique, mais de la place qu'il donne à l'art, devenu pour lui la valeursuprême » ?
De fait, tous cesvisages, la plupart féminins, qui nous fixent de leurs regards insistants,malgré leur parure généreuse, ne sont pas sans évoquer la nudité farouche de lafameuse Olympia. La douceur apparente de leurs contours ne révèle-elle-pas le dénuement absolu de leur présence, à la manière dont Lévinas dit du visage qu’il est le plus nu,particulièrement exposé à la menace de l’autre ? Le visage n’est-il pas ainsi uneallégorie de la peinture toujours offerte au regard, soumise à son jugement eten attente d’uneéventuelle reconnaissance ?
En tordantrésolument le cou à toute sorte d’éloquence, les toiles d’Atsoupé se placent sur lelieu oublié de l’enfance,au plus près de son mutisme, dont la peinture parfois entrevoit les« formes vacillantes » et les « ombres aimées », selon la célèbre formule de Goethe.
L’artiste ne se contente pasd’éluder de ses tableaux le moindre propos narratif, au profit d’une peinture quasimentdépourvu de tout geste, elle soustrait habilement à ses personnages lapossibilité de se mouvoir en les privant systématiquement de leurs jambes. Lestoiles s’arrêtentsystématiquement aux bustes, en dérobant non sans pudeur la partie inférieuredes corps, et plongent ainsi les figures dans l’immobilité qui sied à laméditation. Les personnages de Sirènes, de guerrières ou de déesses ne sont-ils pas, ainsi, frappés d’une troublante inertie ?Ne semblent-ils pas acculés, dos au mur comme autant de témoins impuissants àagir, semblables à certains personnages de Jeff Wall ou de Beckett, dont larage de vivre semble s’être réfugiée dans la dérision de postures incongrues etétranges ?
De ce point de vue,la peinture d’Atsoupés’inscrit pleinementdans ce corpus artistique témoignant de la crise de l’image-action propre au désarroi contemporain.
Si les personnagesd’Atsoupéparaissent avant tout des témoins, l’artiste les préserve de leur vulnérabilité par un art duportrait qui exhausse la puissance du regard aussi souverain que libre.
Ce besoin d’accomplir par ses œuvresune forme de « voyance », Atsoupé en a, sans doute, ressenti l’impérieuse nécessité durant sa longue hospitalisation qui suivit sonaccident de voiture survenu à l’adolescence, au cours de laquelle l’apprentissage de lapeinture l’aida à se reconstruireet à retrouver ce qu’elleavait perdu de son passé.
En ce sens sonparcours rappelle celui de ces figures illustres d’un art-médecine incarné dans l’expérience d’un trauma quasiment initiatique, à l’instar de celui vécu pardes personnalités aussi diverses que Beuys, Tàpies, Frida Kahlo, Sam Francis ou à un moindre degré Basquiat. Toutefois, si la peinture d’Atsoupé porte en elle irrémédiablement l’épreuve du deuil et du traumatisme, ellereste également imprégnée de l’enchantement d’une enfance vécue au contact des paysages de son Afriquenatale. D’où, sans doute, ce mélange de candeur et de sourde violencequi traverse son travail, et confère à la surface dela toile, au subjectile, le caractère d’un épiderme parcouru destraces de son passé. Le contour des visages témoigne, notamment, d’une fluidité sans pareildu trait, et d’unelégèreté de la touche qui tranche avec la présenceinquiétante de taches de sang (Déesse).
La peintre magnifieses portraits par un traitement des couleurs, emportant les figures dans desdégradés subtils, mêlant des bleus de Prusse, des rouges carmin ou des verts dejade.
La dimension votivede cette peintre, n’estpas sans rappeler également la pratique de l'ex-voto présente tout autant chezFrida Kahlo ou chez Annette Messager, contribuant à faire de l’œuvre uneoffrande en témoignage d’uneguérison, ou une adresse à ceux qu’on a perdu.
Si l’épiphanie du visage estau cœur de l’œuvre d’Atsoupé,sa peinture manifeste, par ailleurs, un souci insolite pour tout ce que Derridaa désigné par le terme de parergon ; à savoir ce qui vient compléter l’œuvresur le mode de l’ornementation,voire du superflu. À l’instarde nombreux auteurs d’ArtBrut qui s’accommodentdifficilement des conventions en matière de représentation,Atsoupé est manifestement « hors cadre » en malmenant allégrement les codes traditionnels de la peinture.Car, ce n’estpas seulement, le cadre en bois, le « frame » anglais qui entoure la composition que perverti la peintre - allongeantparfois démesurément les bras ou les chevelures de ses sujets au-delà deslimites supposées du tableau (Deux silhouettes) - mais aussi son support qu’elle agrémente de nombreuxéléments de récupération.
En affirmant,ainsi, le caractèrepleinement matériel de ses toiles àgrands renforts d’incrustationsd’objets (boutons,passementeries…), Atsoupé se fait un malin plaisir à nous rappeler qu’un tableau avant d’êtreune représentation, fut-elle celle d’une femme nue ou d’une quelconque anecdote,selon la formule des peintres Nabis, est essentiellement une surface recouvertede couleurs en un certain ordre assemblées.
Bien plus, enornant d’accessoiresapparemment incongrus ses portraits qui viennent de surcroît disperser l’attention du spectateur,la jeune peintre ne s’affranchit-ellepas de la planéité de la toile ? Le regard n’est-il pas fréquemmentattiré par ces ajouts qui recouvrent étrangement le visage ? Que dire de cesmorceaux de cartons, des napperons, des médailles ou de ces pièces d’étoffes et de lainage qui viennent s’intégrer, avec humoursouvent, à son vocabulaire plastique ?
Atsoupé nemanifeste-t-elle pas, ainsi, une jubilation à transgresser le partage duvisible et du tactile ? Ne se joue-t-elle pas du sacro-saint interdit picturalprohibant de toucher l’imagepeinte ? Non seulement, l’artiste invite lespectateur à dépasser la seule perception optique de ses œuvres, au profit d’une vision haptiqueintégrant toutes les composantes tactiles ordinairement refoulées de l’expérience esthétiqueordinaire, mais elle vise, aussi, à retrouver cette indifférenciation profondedes sensations, propre à l’enfance.
Aussi, regarder unepeinture d’Atsoupé,n’est-ce pasretrouver un peu la présence de l’enfant primitif qui se réjouit, effrayé parce qu’en lui palpite lasurvivance de cette vie animale, préservée et non encore détruite par la moraletrop civilisée des adultes bavards ?
Philippe Godin, Septembre 2023