Among them - Thomas Dreyfuss

> Du 26 janvier au 19 février 2022

-> Mercredi au Samedi de 12h à 18 H  et sur RDV :06 63 18 05 25 

Adresse : 2 au 8  B Place Léonard Bernstein  75012 Paris, ( en face de la cinémathèque)



Il y a quelque chose de résolument animiste dans l’art de Thomas Dreyfuss, pas seulement parce que l’artiste est coutumier des séjours aux côtés des Afars, peuple nomade de la corne de l’Afrique, et qu’il s’intéresse, depuis toujours, à la manière dont les images se créolisent en produisant des figures hybrides, à l’instar de ce totem mi-homme mi-animal présenté par la toile Spotted engine, mais parce que sa peinture est tout à la fois une ode à la sensation et à une forme de bricolage assumé. La vitalité colorée, ainsi que le goût manifeste du peintre pour l’expérimentation ne confèrent-t-ils pas à sa pratique une proximité avec cette pensée « sauvage » décrite par Lévi-Strauss dans son étude des sociétés sans écriture ? L’importance des textures, de la gestuelle, et de la présence du corps de l’artiste dans sa peinture ne fait-elle pas écho à ces cultures ancestrales qui privilégiaient l’enseignement de l’expérience sensible, à contrario d’une science occidentale essentiellement conceptuelle, abstraite de tout rapport aux sensations et à l’imaginaire ?


De ses études d’archéologie, Thomas Dreyfuss garde, sans doute, une attention particulière à la superposition des couches picturales recouvrant la surface d’une toile à la manière des strates géologiques qui enveloppent les traces du passé. Ainsi, le dynamisme de certains aplats de couleurs de sa peinture est tributaire d’un travail subtil de recouvrement d’une multiplicité de couches de coloris que le peintre s’évertue à inciser afin d’en faire ressortir les repentirs, comme autant d’éclats insistants et troublants.


L’artiste sait aussi que les images les plus profondes sont d’éternelles migrantes qui traversent à la manière de spectres les espaces et les temps, finissant par hanter nos mémoires et nos imaginaires. D’où la survivance de tout un bestiaire étrange et familier, qu’on entrevoie, souvent, dans ses œuvres, à l’instar de ces êtres hybrides que sont le Minotaure ou le motif équestre (Stairway to Heaven), comme autant de traces de ces figures parcourant l’histoire de l’art depuis la Grotte des Trois-Frères, aux peintures de Bruegel ou celles de Picasso. Il revient au philosophe Georges Didi-Huberman d’avoir montré à la suite de Warburg, comment la puissance de l’image était tributaire de cette capacité à faire survivre ces fantômes du passé. Thomas Dreyfuss aime, également, jouer avec le regard du spectateur, en faisant qu’une image puisse fréquemment en cacher une autre. À la manière d’un palimpseste, les toiles s’ouvrent, alors, sur une multiplicité de lecture. Slam dunk ne présente-t-il pas tout autant un motif en forme de cerveau ou de fleur d’où semble émerger un étrange basketteur ? Chaque figure semble ainsi générer une multiplicité d’autres formes sous-jacentes et virtuelles, à l’instar du travail des rêves.


Il serait vain, toutefois, de rapprocher cette pratique de celle de la « double image », façon Arcimboldo ou Dali, dont la peinture surréaliste a fait son crédo. Rien n’est plus étranger à l’univers esthétique de Thomas Dreyfuss que cette idée d’une peinture illustrative, fut-elle branchée sur les voies de l’inconscient. Bien plus, il est inutile de chercher un sens caché à ces tableaux. Comme le résumait Deleuze à propos de Bacon, « la peinture n’a ni modèle à représenter, ni histoire à raconter ». En inconditionnel de Matisse, Thomas Dreyfuss pourrait d’ailleurs dire que le peintre doit avant tout se couper la langue et ne s’exprimer que par ses pinceaux. De fait, les œuvres de Thomas Dreyfuss semblent osciller entre l’abstraction et un certain expressionnisme avec sa vitalité colorée et l’impact gestuel de la touche. 

L’espace de la toile n’a rien de représentatif, mais devient le lieu d’un bricolage sauvage, où le peintre rassemble et mixe à la manière d’un musicien des morceaux de couleurs, des matières, des formes, des motifs, et des couches de pigments, rendus à leur puissance de désir. C’est un espace purement Figural qui n’a rien à narrer, ni à communiquer, voué à présenter ses seules aventures plastiques, faites de passages et de métamorphoses. Si le peintre joue abondamment sur les effets de matière, c’est avant tout par le contraste des couleurs distribuées en aplats, que le tableau trouve sa composition. On pense encore à Matisse, à sa manière de découper l’espace par l’unique jeu des couleurs. D’où l’énergie rythmique qui accompagne cette peinture, sa fluidité joyeuse et ludique.

Après une génération antérieure de peintres aux chromatismes fades, éteints (Luc Tuymans ou Michael Borremans), Thomas Dreyfuss participe de ce mouvement (avec Romain Bernini notamment ou l’émergence de la peinture africaine contemporaine) qui célèbre la pure sensualité de l’acte de peindre. 

La force de légèreté, l’élan qui se donne ici, coïncide, sans doute avec le plaisir retrouvé de l’expérimentation loin des dictats théoriques qui dominèrent cet art ; le peintre peut retrouver cette innocence du devenir qui font de lui au côté du poète, un wanderer, éternel voyageur.


Philippe Godin

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